Ici s’achève le monde connu. Résonances, marges utopiques et imaginations diasporiques.

Coordination : Mathieu Kleyebe Abonnenc

It’s after the end of the world,
Don’t you know that yet?
It’s after the end of the world,
Don’t you know that yet?

Sun Ra and His Intergalactic Arkestra, It’s After the End of the World
Live at the Donaueschingen and Berlin Festivals, 1970

Ici s’achève le monde connu

Un vaisseau spatial s’avance lentement dans le vide intersidéral alors que des voix féminines et masculines répètent inlassablement en choeur ces paroles, «Nous sommes après la fin du monde, vous ne le saviez pas encore ? Nous sommes après la fin du monde, vous ne le saviez pas encore ?» C’est ainsi que commence Space is the Place, un film réalisé en 1974 par John Coney, et construit autour de l’univers musical, spirituel et politique du compositeur africain-américain Sun Ra. Par cette annonce, cette révélation — nous aurions déjà vécu et dépassé la fin du monde — Sun Ra nous invite à reconsidérer l’histoire moderne, eurocentrique, en lui proposant un autre début. Il nous propose de penser cette histoire en nous projetant après sa fin qui est pourtant notre présent en tant que spectateur et spectatrice du film. Il nous amène ainsi de l’autre côté du temps, un temps post-humain duquel il reviendrait pour nous permettre d’imaginer autrement cette histoire finie depuis longtemps. Cette invitation à relire l’histoire moderne s’accorde par de multiples jeux d’échos avec la pensée de philosophes, auteurs, autrices et théoricien.nes comme Edouard Glissant, Wilson Harris, Sylvia Wynter, Saidiya Hartman ou M. NouberSe Phillip pour qui la fin du monde, la fin des mondes recouvre aussi la découverte de l’Amérique, le génocide des peuples autochtones et le transbordement de plusieurs millions de femmes, d’hommes et d’enfants mis en esclavage depuis l’Afrique vers l’Amérique.

Résonances, résonner

Penser le présent en imaginant ces moments et ces lieux comme la fin du monde nous permettra dans le cadre de ce séminaire d’interroger la construction de l’histoire moderne – dont les pratiques artistiques et leur histoire font partie – dans une perspective décoloniale, en tentant d’identifier ce que le sociologue péruvien Anibal Quijano nomme la colonialité du pouvoir, qu’il définit comme cette épistémè eurocentrique qui s’est employée à délégitimer toutes les autres formes de savoir que celles produites par la science moderne occidentale. Si « la modernité est désaccordée » comme le diagnostique le philosophe allemand Hartmut Rosa, le lieu du séminaire nous permettrait collectivement de discuter un corpus ouvert d’oeuvres, de textes poétiques ou théoriques, de pratiques, de modes d’habiter les mondes, a-n de suivre les traces, les sou?es et les silences qui construisent cette histoire disjointe, ce «lieu d’interruption gigantesque (…) synonyme de rupture, de fracture, un sou?e retenu, un hiatus» pour les ampli-er et les faire résonner dans notre présent. Il s’agira d’imaginer des accords et harmoniques nouvelles qui pourraient potentiellement interroger et «transformer notre relation au monde d’une société». Certaines séances du séminaire seront pensées en résonance et en collaboration avec le projet Amazonies dirigé par Léa Le Bricomte au sein de l’école supérieure d’art d’Avignon.